Association Climat Genève

Et le numérique ?

Une connaissance climato-sceptique m'a dit récemment que les jeunes qui manifestaient devraient d'abord arrêter d'utiliser leurs smartphones et les médias sociaux, qui étaient pire que tout pour le climat. Un brin fatiguée, je lui ai demandé s'il pensait que c'était pire que sa voiture, qui pèse environ une tonne...
 
Quelle est l'empreinte réelle d'internet ? de la 5G ? devons-nous effectivement diminuer notre empreinte numérique ?
 
 

L'empreinte carbone du numérique

 
L'empreinte carbone de l'informatique a deux origines :
  • La consommation électrique des appareils
  • L'énergie grise, c'est à dire l'énergie utilisée pour la fabrication des équipements informatiques. L'énergie grise d'un PC est d'environ 950 kWh, celui d'un smartphone d'environ 135 kWh.
 
L'empreinte carbone de cette électricité dépend de sa provenance : si l'électricité suisse est à plus de 60% renouvelable, le pays où se trouve le serveur informatique qui fournit les données ou l'usine qui fabrique un équipement électronique peut lui utiliser de l'électricité provenant du charbon. Les géants du web ont pour objectif de fonctionner à l'énergie renouvelable, Google y est parvenu en 2017, Facebook l'annonce pour 2020. D'autres comme Netflix ou Twitter sont à la traîne...
 
Quant aux appareils électroniques, ils sont souvent fabriqués en Asie avec de l'électricité provenant du charbon, donc l'énergie grise est souvent importante : environ 1 kg de CO2 par KWh. Lorsqu'on achète un nouveau PC, on ajoute donc jusqu'à une tonne de CO2 à son empreinte carbone. Le smartphone quant à lui correspond dans le pire cas à 135 kg de CO2.
 
L'empreinte carbone du numérique est actuellement semblable à celle de l'aviation, et pourrait augmenter fortement ces prochaines années, notamment à cause des objets connectés. Mais contrairement à l'avion, il est possible de diminuer nettement ces émissoins, en ayant recours aux énergies renouvelables, en améliorant l'efficacité et si possible en recyclant les métaux rares.
 
Pour évaluer l'impact du numérique, il faut tenir compte de toute la chaîne de traitement : poste de travail, Wifi, transfert sur internet, serveur de données dans le cloud...
 

Pour quelle utilisation ?

 
L'impact du numérique dépend de l'usage qu'on en fait. Voici quelques exemples, du moins lourd au plus lourd:
L'envoi d'un mail
 
Un email sans pièce jointe est très petit, et son envoi utilise donc peu d'énergie. Par contre, si vous joignez à votre mail de 3 Kilo-octets une photo d'un Méga-octet, il sera plus de 300 fois plus grand, et la consommation d'énergie augmentera fortement.
 
Certaines études estiment l'empreinte d'un mail avec une pièce jointe à 19 grammes de CO2, voire 50 grammes. Toutefois ces chiffres incluent l'énergie grise de l'ordinateur de l'utilisateur et l'énergie utilisée par le centre de calcul qui stocke la boîte mail.
Le cloud
 
Qu'en est-il du cloud, c'est à dire des données stockées chez un fournisseur internet, par exemple dans une dropbox ou une boîte mail en ligne ?  Quand on parle de cloud, il faut tenir compte du fait que c'est le dernier kilomètre qui coûte le plus - transporter une donnée sur internet consomme deux fois plus d'énergie que la stocker pendant un an. Si vous stockez toutes vos photos ou vos mails sur un disque dur de votre PC, vous utiliserez moins d'énergie que pour un stockage dans le cloud. Gare cependant aux pertes de données - n'oubliez pas dans ce cas de faire régulièrement une copie de vos données sur un deuxième support, disque dur externe ou clé usb. 
 
 
Une vidéo en streaming
 
L'impact d'une vidéo en streaming pendant une heure est :
  • de 0.45 kWh avec un PC portable connecté en ADSL
  • de 0.63 kWh avec un smartphone connecté en 4G - la 4G consomme 20 fois plus d'énergie que l'ADSL
  • de 4.5 kWh avec un écran TV de grande taille en ADSL - ici l'énergie grise de l'écran pèse lourd, et la vidéo en ultra-haute définition augmente la quantité de données à transférer
 
Pour revenir à ma discussion avec le climato-sceptique, un trajet aller-retour Genève - Lausanne dans une voiture de taille moyenne émet 38 kg de CO2 (à 300 gr de CO2/km, énergie grise y comprise), ce qui correspond à 400 heures de vidéo en ligne sur un smartphone en 4G (à 150 gr de CO2 par kWh). Et même 4000 heures quand tous les fournisseurs informatiques utiliseront de l'énergie renouvelable.
 
Mieux vaut donc renoncer à sa voiture qu'à une vidéo en streaming !  
Le Bitcoin
 
Le minage de la monnaie virtuelle "Bitcoin" utilise à lui seul 0.4 % de la consommation énergétique mondiale, l'équivalent de la consommation électrique de la Suisse. Tout ceci pour un usage presque expérimental, dont on peine à percevoir la valeur ajoutée dans nos vies quotidiennes, hormis pour un éventuel paiement de rançon de virus crypteurs, dit ransomwares. (Vous aviez bien sauvegardé vos données avant de les sortir du cloud ?)
 
 
Les avantages du numérique  
 
L'informatique peut aussi aider dans la lutte contre le réchauffement.
Les téléconférences
 
Comparé à un voyage, une téléconférence en mode streaming émettra bien moins de CO2 :
  • Téléconférence de 8 heures avec deux écrans de grande taille : 11 kg de CO2-e 
    (2 * 4.5 kWh * 8 heures * 150 gr co2 au kWh)
  • Voyage en avion Genève - New York aller - retour : 2000 kg de CO2-e (selon myclimate)
 
Le télétravail
 
Un jour de télétravail émet moins de CO2 qu'un voyage aller - retour au lieu de travail, même en bus (chiffres incluant l'énergie grise, selon le calculateur mobitool) :
  • Un jour de télétravail : 240 grammes de CO2-e
  • Trajet aller-retour de 20 kilomètres en bus : 1 kg de CO2-e
  • Trajet aller-retour de 20 kilomètres en voiture : 5.6 kg CO2-e
 
 
 
Vers la sobriété numérique
 
Internet n'est pas le mal incarné, il faut l'utiliser à bon escient. Voici quelques bonnes pratiques :
 
A l'achat d'un nouvel équipement :
  • Garder ses ordinateurs et smartphones aussi longtemps que possible, pour réduire l'énergie grise.
  • Eviter de multiplier les appareils. On a pas besoin d'un smartphone + un ordinateur fixe + un pc portable par personne. Privilégier un ordinateur familial plutôt qu'un ordinateur par enfant.
  • Lorsqu'on achète un nouvel équipement informatique, choisir un modèle avec un basse consommation électrique.
  • Pour les moniteurs, éviter la démesure - plus c'est grand, plus l'énergie grise est élevée.
  • Pour les fans d'Android, quand votre smartphone actuel sera à bout, préférez un modèle d'occasion ou un fairphone. Que les fans d'Apple se rassurent, ils sont presque aussi bien classés.
 
 
Dans l'utilisation quotidienne :
  • Configurer le mode veille et éteindre ses équipements lorsqu'on ne les utilise pas.
  • A la maison, connectez votre PC ou Mac par ADSL, plutôt que par Wifi ou 4G - et ça diminuera aussi l'electrosmog.
  • A l'extérieur, préférez un réseau Wifi au 4G, il consomme nettement moins d'énergie.
  • Si vous attachez une pièce jointe à un mail, assurez-vous qu'il est aussi petit que possible, notamment en redimensionnant les photos.
  • Si le mail est envoyé à beaucoup de personnes (newsletter par exemple), stocker plutôt les pièces jointes sur un site web, dropbox ou autre.
  • Si vous regardez des vidéos en ligne, choisissez une résolution basse - en ultra-haute définition, vous transférerez 7GB de données par heure, contre 1 GB par heure en résolution standard.
  • Et bien entendu, prenez un abonnement électrique avec une source d'énergie renouvelable.
 
Pour les informaticiens : 
 
 
Pour les politiques :
  • Voter une loi contre l'obsolescence programmée. On est souvent obligé de changer de matériel, non pas parce qu'il ne fonctionne plus, mais parce qu'il n'est pas compatible avec la dernière version de Windows ou la dernière application de télébanking.
  • Renoncer à étendre encore le réseau mobile au 5G, cela ne fera qu'augmenter encore la consommation énergétique par rapport au 4G.
  • Adopter une taxe carbone mondiale pour que le prix d'un équipement ou d'un contenu numérique reflète son contenu carbone. Cela inciterait fortement les fournisseurs informatiques a passer aux énergies renouvelables à la place d'utiliser l'électricité des centrales à charbon.
  • Réglementer les usages extrêmes du numérique comme le Bitcoin.
 
 
 
Références : Sobriété numérique, Frédéric Bordage  / Site GreenIT.fr